Les eaux troubles de Châteaud’eau

Le 7 juillet 2011

Selon des documents exclusifs obtenus par OWNI, le distributeur de fontaines d'entreprise Châteaud'eau (à l'époque propriété de Danone) a commercialisé en 2007 des milliers de bonbonnes contenant une dangereuse bactérie.

L’entreprise Châteaud’eau, célèbre distributeur de fontaines d’eau pour les entreprises et les collectivités, a mis sur le marché deux importants stocks de bonbonnes contenant des éléments toxiques. Contrairement aux préconisations de son laboratoire d’analyse, la société les a commercialisés alors qu’ils contenaient la Pseudomonas aeruginosa, une bactérie potentiellement dangereuse, voire mortelle pour les personnes à la santé fragile.

Les faits que nous révélons remontent à l’année 2007. Selon les documents obtenus par OWNI, à cette période, la qualité des bonbonnes de Chateaud’eau (à l’époque propriété du groupe Danone) était contrôlée par un laboratoire interne à l’entreprise. Or, en date des 28 et 29 juin, les analyses bactériologiques de ses experts signalent que les lots produits dans l’usine Passy de Chateaud’eau sont non conformes. En cause: la présence de la bactérie Pseudomonas aeruginosa dans les échantillons prélevés.

Une découverte qui aurait dû conduire la société Chateaud’eau à ne pas vendre le stock incriminé (à raison de plus de 500 bonbonnes de 20 litres d’eau scellées par heure, chaque stock journalier peut compter de 4000 à 5000 bonbonnes). Or, malgré l’avis de la laborantine (que nous avons contactée mais qui n’a pas souhaité être citée), le stock en question a bien été livré aux clients. Et « à la demande de la direction générale », comme le mentionnent les documents ci-dessous:

Contactée par OWNI, la société Châteaud’eau n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Superbactérie

En France, au titre de la santé publique, les critères d’évaluation microbiologique sont fixés par le gouvernement, en application des directives européennes. Concernant la qualité des eaux de boisson, l’arrêté du 14 mars 2007 ne laisse aucune ambiguïté. Il exige que la Pseudomonas aeruginosa soit totalement absente des échantillons d’eau examinés. Soit zéro tolérance par 250 ml d’eau observés; comme les entérocoques et Eschierichia coli, ainsi que le précise le tableau annexé à l’arrêté de mars 2007.

Bien connue des milieux hospitaliers et de la petite enfance, la Pseudomonas aeruginosa est identifiée parmi les agents responsables de nombreuses maladies nosocomiales : anodine pour certaines personnes en bonne santé, elle peut se révéler redoutable chez les personnes immunodéprimées (dont le système immunitaire est affaibli, par la maladie, un traitement, la grossesse, l’âge, etc.).

Après lui avoir présenté les éléments dont nous disposions sur les bonbonnes Châteaud’eau, le Dr Francis Glemet, porte-parole de la Coordination nationale médecine, santé environnement (CNMSE) et pharmacien industriel en retraite, nous a décrit les risques encourus :

Chez les personnes immunodéprimées, la bactérie induit un risque d’infection septique : infection rénale, infection urinaire, septicémie… Quand le germe est installé dans une infection, elle se remultiplie toutes les 20 à 30 minutes et, si un traitement adapté n’est pas prescrit dans les meilleurs délais, elle devient très difficile à déloger. Dans le cas des infections respiratoires, la dégradation peut être très sévère et, dans certains cas, mortelle.

Bonbonnes à eau, bouillons de culture

Scellées et parfois stockées pendant de longues durées, les bonbonnes pour fontaines d’entreprise constituent selon ces chercheurs un « bouillon de culture » propice au développement des bactéries. Raison pour laquelle la plupart des hôpitaux ont renoncé à ce système, comme l’explique une syndicaliste CFDT de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris :

Nous n’avons plus recours aux fontaines à eau à bonbonnes depuis plusieurs années : la plupart des patients ne s’en servaient pas, ce qui pouvait amener une même bonbonne à rester plusieurs mois en place, ce qui comporte des risques sanitaires non négligeables. Désormais, nous utilisons des fontaines réfrigérantes qui ont l’avantage de pomper sur le circuit d’eau courante et donc d’éviter la stagnation.

Installé à l’époque dans le XVIe arrondissement de Paris, Chateaud’eau avait obtenu une autorisation de pompage dans la nappe de l’Albien, à 700 mètres de profondeur. Une nappe reconnue pour sa pureté exceptionnelle du fait du long filtrage par les couches successives de roche. La source était à l’époque contrôlée par le Crecep, organisme public de contrôle de l’eau (depuis intégré à la régie municipale Eau de Paris). Or, comme le montrent les analyses (voir ci-dessous), ni le mauvais goût de l’eau, ni la présence de pseudomonas ne peuvent s’expliquer par la source à laquelle était pompée l’eau.

Selon une source interne, il s’agirait en fait du procédé de lavage des bonbonnes d’eau (récupérées après usage) qui comporte des risques de contamination. Une contamination que la direction générale de Chateaud’eau a décidé d’ignorer, peut-être influencée par un printemps caniculaire et les prévisions d’un été très chaud. Une chaleur à boire n’importe quoi.


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