OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le doigt d’honneur fiscal d’Apple http://owni.fr/2012/11/07/le-doigt-d-honneur-fiscal-d-apple/ http://owni.fr/2012/11/07/le-doigt-d-honneur-fiscal-d-apple/#comments Wed, 07 Nov 2012 10:27:38 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=125047

Les pratiques d’optimisation fiscale des géants du Net occupent une nouvelle fois le devant de la scène. Apple aurait été imposé à l’international à hauteur de 2%, d’après les résultats annuels publiés par la Securities and exchange commission (SEC), le gendarme de la bourse américaine. Un fiscaliste européen ne souhaitant pas être cité, confirme que les manipulations financières sont plutôt simples.

Les profits américains sont quant à eux en partie épargnés “grâce à un montage impliquant l’État du Névada”. Les entreprises technos, plutôt bien dotées financièrement, ne versent pas – ou très rarement – de dividendes à leurs actionnaires : verser des dividendes “c’est pas cool” et indiquerait la fin de la phase de croissance, peu souhaitable pour des entreprises dont le mantra reste l’innovation…

Le cas européen

L’Europe étant un marché unique, la libre circulation des biens n’empêche pas chaque État de faire ce qu’il veut en terme de fiscalité et l’Union européenne intervient peu. Parmi les “failles” législatives, on citera la possibilité pour les géants de la vente de biens immatériels de taxer dans le pays d’établissement de leur siège social, souvent l’Irlande (comme pour Google) ou le Luxembourg (comme pour Apple et iTunes).

Où Apple planque ses tunes

Où Apple planque ses tunes

C'est un secret de Polichinelle, Apple a installé le siège d'iTunes au Luxembourg. De l'évasion fiscale en bonne et due ...

Mais une directive de 2008 donne trois ans (entre 2015 et 2018) aux entreprises pour préparer la taxation des ventes de biens immatériels dans le pays de l’acheteur et plus dans le pays “vendeur”. La directive n’est pas encore entrée en vigueur, ce dont profite Apple pour imposer les vente d’iTunes au taux luxembourgeois. Et ce même si c’est un Français qui achète un album sur iTunes d’une star qui ne l’est pas encore. Mais la petit manipulation, à partir du premier janvier 2015, ne pourra pas plus en théorie avoir lieu et les téléchargements seront soumis – progressivement – à la TVA du pays de l’acheteur. Dommage pour les exemplaires marchands US qui pour Greenwich Consulting [PDF ] représentaient en 2008, 70% du marché européen.

La directive, portant sur l’application de la TVA au taux du pays de l’acheteur, n’a pourtant pas été acceptée d’emblée par les pays contraints au droit communautaire et elle l’a été à “l’issue de discussions difficiles entre les États membres”. On comprend que le Luxembourg et l’Irlande rechignent un peu. Et que, de fait, les négociations aient été longues : 27 États à se disputer une taxe allant sans froisser le Luxembourg, ça peut durer longtemps.

Le montage d’Apple ne lui est pas spécifique. De la même manière, Google pratique le double irish et permet aux profits des sociétés technologiques d’échappent au fisc. Owni a publié les liasses de Google qui attestent de 12 milliards d’euros de revenus en Europe (et un tout petit impôt de 5 millions en France pour l’année 2011). Le Canard Enchaîné du 31 octobre a révélé que la Direction générale des impôts réclamait à Google presque 1 milliard d’euros pour quatre ans de chiffre d’affaires français exilé en Irlande, chez Google Ireland limited, sans être déclaré au fisc.

Les chiffres d’affaires de plusieurs pays sont concentrés en Irlande et une redevance est versée aux Pays-Bas pour rémunérer les brevets, la marque et autres immatériels. Le régime des Pays-Bas permet de faire sortir une redevance vers un paradis fiscal, sans avoir à payer d’impôts. Aux États-Unis, nul besoin de passer par des paradis fiscaux.

Le Nevada, nouvel eldorado

Avec un taux d’imposition égal à zéro, le Nevada – et le Delaware – deux États bien agréables pour les entreprises telles qu’Apple, sont providentiels et permettent de miser sur les investissements et la R&D, gage de sérieux pour les investisseurs et l’image des entreprises du Net. Le spécialiste de la fiscalité du numérique ironise :

On constate depuis quelques années que tout n’est pas réinvesti, loin de là, et que ces sociétés accumulent une trésorerie très abondante (près de 100 milliards de dollars pour Apple).

On est bien loin des 800 millions de trésorerie du CNC, qui font bondir les FAI français, taxés pour financer le fonds et la création.

Le web mise sur le fisc irlandais

Le web mise sur le fisc irlandais

Apple vient d'annoncer un renforcement de ses effectifs au sein de son siège européen, en Irlande. La firme recrutera 500 ...

Le système américain taxe à hauteur de 35% à l’échelon fédéral. Et s’ajoute à ce taux les impôts de chaque État, plus ou moins important selon chaque législation. Alors le Névada n’impose pas les sociétés, le taux de la Californie avoisine 8%. Une fois qu’il faut rapatrier, le montage n’est pas compliqué : la trésorerie accumulée et conservée dans les paradis fiscaux attendent les “tax holidays” qui permettent aux entreprises de rapatrier du cash aux Etats-Unis, à la faveur d’une réforme fiscale après une élection par exemple. Et ce, sans verser le moindre impôt.

The Sunday Times rapporte qu’Apple a touché 36,9 milliards de dollars de revenus, à l’international. Pour 731 millions de dollars d’impôts, bien peu au regard de ses revenus donc. En France, BFM vient de révéler qu’Apple “ne déclare que 257 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors, qu’en réalité, il engrange dans l’Hexagone près de 3,5 milliards d’euros de revenus”. Pour 7 millions payés en impôts en France.


Affiche originale par Geoffrey Dorne [CC-byncsa] pour jaffiche.fr et remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Les 12 milliards de Google en Irlande http://owni.fr/2012/10/31/12-milliards-google-irlande-fisc-redressement/ http://owni.fr/2012/10/31/12-milliards-google-irlande-fisc-redressement/#comments Wed, 31 Oct 2012 13:56:52 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=124584

Selon Le Canard Enchaîné de ce mercredi 31 octobre, la Direction générale des impôts réclame à Google une ardoise de près d’1 milliard d’euros. En cause : quatre années d’activités commerciales durant lesquelles une large part du chiffre d’affaires généré en France aurait été transféré vers une fameuse filiale située à Dublin, Google Ireland Limited, sans être déclaré à l’administration fiscale.

Le rapport de 125 pages présentant le bilan comptable de Google Ireland Limited pour l’année 2011, que nous nous sommes procuré, donne la mesure de ce montage. Le document a été certifié par le cabinet Ernst & Young le 21 août 2012, et enregistré un mois plus tard, le 28 septembre, au greffe des autorités commerciales de Dublin.

Au total, pour l’exercice 2011, les comptables de Google Ireland Limited présentent une société qui atteint un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros, et un bénéfice brut de 9 milliards d’euros. Des chiffres vertigineux, à lire en prenant en considération deux réalités : d’une part, Google est devenu la première régie publicitaire de la planète – tout en demeurant, subsidiairement, un moteur de recherche. D’autre part, Google Ireland Limited, via quelques finesses comptables, recueille donc sur ses comptes en banque une large part des ventes de l’espace publicitaire commercialisé par Google en Europe, et notamment en France.

Multimilliardaire

Sur place, à Dublin, les liens entre cette tirelire et les diverses succursales de Google s’organisent par l’entremise d’autres sociétés. En particulier la société Google Europe, également domiciliée en Irlande, et qui compte parmi ses dirigeants l’entreprise Google France et les diverses filiales européennes et africaines. Ainsi que le montre un procès-verbal de cette autre structure irlandaise.

Les îles Bermudes, la planque à billets de Google

Les îles Bermudes, la planque à billets de Google

Nous avons recueilli les procès-verbaux des sociétés de Google en Irlande, utilisées pour expédier ses bénéfices vers ...

Et grâce aux participations détenues dans une autre filiale de Google, située aux Îles Bermudes cette fois, une partie des dividendes rassemblés en Irlande s’envole ensuite vers ce paradis fiscal de l’Atlantique, comme nous l’avions autrefois raconté.

C’est l’ensemble de ces montages qui ont provoqué le courroux des fonctionnaires des impôts contre le groupe multimilliardaire. Après des vérifications demandées sur l’exercice 2008, achevant d’étayer leurs soupçons, les enquêteurs du fisc ont perquisitionné le 30 juin 2011 les bureaux parisiens de Google France, avenue de l’Opéra, rue de Londres, rue Louis-le-Grand, et rue de Clichy.

Pour la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), la société Google Ireland Limited agit comme le véritable propriétaire et bénéficiaire de la succursale française, sur la base d’un contrat daté du 1er juillet 2004, mais sans rien dire au Trésor Public – la coquille irlandaise n’ayant pas pris soin de satisfaire aux obligations fiscales des sociétés étrangères déployant des activités en France, qui doivent se déclarer auprès d’un service spécialisé des impôts.

Ritournelle

Une version qu’a contesté en justice Google France, dont le directeur général Jean-Marc Tassetto n’a pas répondu à nos sollicitations, tout comme Maria Gomri, responsable juridique pour la France ni Yoram Elkaïm, directeur juridique pour l’Europe.

En lieu et place d’éléments d’explication, la responsable de la communication de Google France, Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, nous a adressé un email affirmant que “Google se conforme aux législations fiscales de tous les pays dans lesquels l’entreprise opère” et rajoutant “nous sommes convaincus d’être en conformité avec la loi française”.

Sauf que cette ritournelle de communicants a été balayée par la Cour d’appel de Paris, dans une ordonnance du 15 mai 2012, mis en ligne par nos confrères de BFM TV.

Lex Google : état des lieux

Lex Google : état des lieux

Oh, les jolis sourires crispés ! Ce lundi 29 octobre, François Hollande, accompagné des ministres Aurélie Filippetti ...

Les magistrats ont confirmé la légalité de la perquisition et les présomptions de fraudes. Contactée par Owni, l’avocate de l’administration fiscale dans cette procédure, Me Dominique Hebrad a indiqué qu’à cette heure que “les avocats de Google n’ont pas engagé de recours” contre cette décision de justice. Supposant ainsi qu’ils en acceptaient les conclusions.

Lundi, les responsables de Google France accompagné du grand patron, Eric Schmidt, rencontraient à l’Élysée François Hollande et la ministre déléguée de l’Économie numérique. Pour parler de la taxe Google. Mais aussi, selon Le Canard Enchaîné, pour discuter du redressement fiscal hors norme qui menace l’entreprise ; un sujet que les représentants de Google démentent avoir évoqué à cette occasion.

Pour la circonstance, l’équipe Google était accompagné d’un grand commis de l’État discrètement converti au charme de l’industrie de la publicité en ligne. Francis Donnat, maître des requêtes au Conseil d’État, conseiller auprès de la Cour de justice des communautés européennes, a rejoint Google France au mois de septembre dernier en qualité de lobbyiste en chef.

Pour parler d’égal à égal, au nom de la firme, avec ses anciens condisciples de l’ENA (promotion Valmy) évoluant aujourd’hui à la Direction générale du Trésor ?


Le bilan comptable de Google Ireland Limited pour l’exercice 2011 :


Le procès-verbal de la société irlandaise Google Europe :


Illustration par Artamir [CC-byncnd] modifiée avec son autorisation par Ophelia Noor pour Owni /-)

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FaDet: la justice est moins importante que le fisc http://owni.fr/2010/12/23/fadet-la-justice-est-moins-importante-que-le-fisc/ http://owni.fr/2010/12/23/fadet-la-justice-est-moins-importante-que-le-fisc/#comments Thu, 23 Dec 2010 07:30:33 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=39885 Le Canard Enchaîné révélait récemment que le fisc et le gendarme de la Bourse se gavaient eux aussi de factures détaillées. OWNI.fr avait d’ailleurs publié les documents prouvant les révélations du Canard Enchaîné, et expliqué comment le fisc, via un “cavalier parlementaire” (disposition sans rapport avec le projet auquel il se rattache) adopté lors de la loi de finances rectificatives (LFR) de 2008, s’était arrogé un tel droit de communication aux détails de nos télécommunications.

Le 9 décembre dernier, profitant de la loi de finances rectificatives pour 2010, le député UMP Lionel Tardy a défendu un amendement, cosigné par 13 autres députés UMP, visant à n’autoriser le fisc à accéder aux factures détaillées qu’”après accord du juge“, au motif qu’en l’état, “cette demande se fait sans le moindre contrôle de la nécessité et sans justification des services fiscaux, alors qu’il s’agit de données personnelles” :

Il convient donc d’encadrer cette pratique, afin qu’un tiers extérieur contrôle la nécessité de porter atteinte de cette manière à un élément important de la vie privée. La lutte contre la fraude fiscale est importante, mais ne doit pas générer des atteintes injustifiées à la protection de la vie privée.

En séance, Lionel Tardy attira l’attention de l’Assemblée “sur le fait qu’un certain nombre de dispositions figurant dans divers codes risquent fortement la censure constitutionnelle par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC, ndlr). Il serait sans doute bon que nous nous penchions davantage sur ces fragilités de notre droit afin d’y porter remède spontanément, sans attendre la censure” :

L’article L. 96 G du livre des procédures fiscales permet aux agents de l’administration fiscale de réclamer directement aux opérateurs de téléphonie les factures détaillées de leurs clients. Cette demande se fait sans le moindre contrôle et sans justification des services fiscaux. Ce pouvoir de l’administration est manifestement excessif et porte atteinte à un certain nombre de libertés, au premier rang desquelles figure la vie privée.

Si nous ne faisons rien, une question prioritaire de constitutionnalité finira bien par être posée par une personne qui contestera l’utilisation que l’administration fiscale fait de ces factures détaillées. Je propose donc de maintenir pour l’administration la possibilité de demander des factures détaillées, mais en y mettant le filtre du juge.

La réponse de François Baroin, ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique, de la Réforme de l’État, et porte-parole du Gouvernement, fut cinglante : “Il ne faut pas tout confondre, monsieur Tardy : d’une part, les sujets d’actualité qui agitent tel ou tel média à propos de l’exploitation des factures détaillées et, d’autre part, la stricte application du droit pour permettre à l’administration fiscale d’exercer ses missions régaliennes” :

Quand l’administration fiscale obtient des résultats, tout le monde se porte mieux et tout cela est bien accepté. La situation est encadrée, aucune question ne se pose : l’article L. 96 G du livre des procédures fiscales permet de vérifier divers éléments déclaratifs du contribuable.

Les agents au service de l’État, des hommes et des femmes rigoureux, appliquent le droit, pas simplement pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, mais pour faire respecter ce juste équilibre entre le caractère déclaratif, l’effort de contribution pour participer au financement du bien public et le nécessaire contrôle, car il n’y a pas de confiance sans contrôle. Je crois, monsieur Tardy, que vous êtes allé un peu loin dans votre élan.

Et l’amendement fut rejeté. Dit autrement, pour le gouvernement, le contrôle, par la justice, d’une atteinte aux libertés, est moins importante qu’un contrôle fiscal. L’échange, en vidéo, suivi de l’interview qu’il a bien voulu nous accorder :

OWNI : Pourquoi pensez-vous que l’article L.96G du livre des procédures fiscales puisse être déclaré anticonstitutionnel ?

Lionel Tardy : Cet article permet à l’administration fiscale de récupérer, sur simple demande, les factures téléphoniques détaillées. C’est une atteinte manifeste au droit à la vie privée, constitutionnellement protégé.

Le Conseil constitutionnel admet que l’on puisse porter atteinte à des droits constitutionnels, si c’est pour en faire valoir d’autres. Il passe en fait son temps à concilier l’exercice de droits constitutionnels.

Dans notre cas, face au respect de la vie privée, on trouve l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude.

Les factures téléphoniques détaillées peuvent être très utiles pour lutter contre la fraude fiscale, notamment en ce qui concerne l’évasion fiscale et les domiciliations fiscales à l’étranger. Le problème n’est donc pas la possibilité de l’accès aux factures détaillées pour les services fiscaux, mais les conditions de cet accès.

La faiblesse que j’ai soulignée, c’est l’absence totale de contrôle de la légitimité et de la justification des demandes de l’administration fiscale. Actuellement, le fisc demande ce qu’il veut, sans passer par aucun filtre et sans justifier sa demande. Mon amendement soulevait la question en proposant d’instaurer un contrôle de la justification des demandes de l’administration fiscale.

À mon avis, mais je peux me tromper, il y a un déséquilibre qui pourrait être sanctionné par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, où un contribuable condamné pour fraude fiscale contesterait la validité de la preuve basée sur l’analyse de ses factures téléphoniques.

OWNI : Le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi de cet article, lors de la saisine parlementaire de la loi de finances rectificatives de 2008 : votre proposition d’amendement correspond-elle à une prise de conscience des atteintes grandissantes à la vie privée, et/ou au fait que personne n’en avait à l’époque mesuré la portée ?

Lionel Tardy : À mon avis, personne n’avait vu le problème en 2008. Les lois de finances rectificatives sont remplies de petites dispositions, et malheureusement, les députés survolent cela, puisque l’examen de la LFR a lieu mi-décembre. Cette année, pour la dernière séance d’examen des amendements, il n’y avait qu’un seul député d’opposition présent, Pierre-Alain Muet, rejoint vers 23 heures par Jean-Pierre Brard. C’est l’idéal pour que le gouvernement fasse passer ce qu’il veut.

OWNI : En prononçant un avis défavorable à votre amendement, François Baroin a déclaré qu’“il n’y a pas de confiance sans contrôle”, mais il parlait de contrôle fiscal, pas du contrôle d’un juge… Comment expliquez-vous que le gouvernement autorise le fisc à se permettre quelque chose que la police ne peut pas se permettre ?

Lionel Tardy : Le ministre a lu la réponse que lui a écrit son administration ! Évidemment que le fisc n’est pas favorable à ce qu’on limite son pouvoir et sa capacité à demander des factures téléphoniques détaillées. La protection de la vie privée n’est pas de son ressort, c’est même sans doute un obstacle aux contrôles.

C’est à nous, politiques, d’avoir une vision globale d’un sujet et de réaliser les équilibres entre des demandes contradictoires. Malheureusement, une fois de plus, un ministre s’est transformé en porte-parole des intérêts de son département ministériel. Et comme l’avis du ministre a un poids important sur les votes…

OWNI : Que pensez-vous de l’analyse du Canard Enchaîné, pour qui les textes de lois avancés par l’administration fiscale pour accéder aux FaDet ne sont qu’une manière illégale de contourner la loi sur les écoutes ?

Je n’irais pas jusque-là. Les FaDet ne permettent pas d’avoir accès au contenu des conversations. On a juste la date, l’heure, la durée, le numéro appelé, et éventuellement la localisation. Certes, c’est déjà une intrusion dans la vie privée des gens, mais ce n’est pas à mettre sur le même plan que les écoutes téléphoniques.

OWNI : Votre amendement n’a été cosigné que par des députés UMP : était-ce volontaire de votre part, ou bien parce que les députés socialistes ne vous suivent pas sur ce terrain ?

Lionel Tardy : Je n’ai pas soumis cet amendement à la cosignature des députés d’opposition. C’est d’ailleurs très rare que je le fasse, et à l’inverse, c’est aussi très rare que des députés d’opposition demandent à des députés de la majorité de cosigner leurs amendements.

Je pense que les députés socialistes peuvent me suivre, mais lors du débat en séance sur cet amendement, il n’y en avait qu’un dans l’hémicycle ! Il ne pouvait pas réagir sur tout.

Je n’abandonne pas le sujet. Cet amendement était une sorte de sonde lancée, pour alerter, mettre le sujet sur la table, et plus globalement, attirer l’attention sur la nécessité de vérifier la solidité constitutionnelle des lois. La QPC a commencé à faire des ravages, il faudrait peut-être s’en préoccuper en amont, plutôt que d’attendre les censures du Conseil constitutionnel.

NB : Lionel Tardy fait partie des trois députés UMP qui se sont abstenus de voter pour la Loppsi 2, une position qui “exprime mon scepticisme et mes réserves sur le durcissement répressif, sur les coups de canif régulièrement portés aux libertés publiques, sous la pression de certains élus UMP dont je désapprouve clairement les positions sécuritaires ! Je suis un libéral, économiquement, mais aussi politiquement. J’ai exprimé, sur différents textes (notamment le projet de loi sur l’immigration) mon attachement au respect des libertés publiques.”

Illustration : Telephone CC HEFU

Image de une : Louison pour OWNI (CC)

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De la surveillance des FaDet à celle de l’internet http://owni.fr/2010/12/14/de-la-surveillance-des-fadet-a-celle-de-linternet/ http://owni.fr/2010/12/14/de-la-surveillance-des-fadet-a-celle-de-linternet/#comments Tue, 14 Dec 2010 18:04:20 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=39206 Le fisc et le gendarme de la Bourse se gavent aussi de “fadettes”“, titrait, en “une, le Canard Enchaîné, ce mercredi 8 décembre :

Les contre-espions de la Direction centrale du renseignement intérieur ont fait des émules. Les agents du fisc et de l’Autorité des marchés financiers (l’AMF, surnommée “le gendarme de la Bourse“) ont pris, eux aussi, l’habitude de consulter les factures détaillées de téléphone (les fadettes) de qui leur chante, quand bon leur semble, et en dehors de tout contrôle.

Les inspecteurs du fisc et de l’AMF farfouillent si souvent chez les opérateurs téléphoniques que des formulaires tout prêts, dont “Le Canard” détient quelques spécimens, ont été édités.

Ces documents, OWNI les a reçu aussi (voir plus bas). C’est d’ailleurs aussi ce pour quoi nous avons lancé notre petit WikiLeaks maison, afin de permettre aux gens de pouvoir nous contacter, et nous faire parvenir des documents, de façon anonyme, et sécurisée.

Retour aux sources

Et pour inaugurer un outil spécialement dédié à la protection des sources, quoi de mieux qu’un document révélant comment certaines autorités tentent de contourner la loi pour pouvoir espionner, sans contrôler judiciaire, qui parle avec qui, quand, pendant combien de temps ?

Les contrôleurs du fisc justifient leurs demandes de FaDet en se reposant sur le droit de communication, qui leur permet d’”exiger du contribuable concerné ou d’un tiers (employeur, banque, …) documents et informations pour les besoins du contrôle fiscal engagé“.

Problème : ce “droit de communication“, prévu par l’article L81 du Livre des procédures fiscales, ne concerne qu’un certain nombre de personnes physiques ou morales (employeurs, administrations publiques, sociétés d’auteurs, etc.), mais nullement les opérateurs de télécommunications.

Le problème est d’autant plus complexe que, et comme le souligne le Canard Enchaîné, la loi de 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques et “qui encadre les écoutes téléphoniques et protège également les fadettes des abonnés contre les regards indiscrets interdit précisément de se livrer à ce genre d’exercice” :

Ce texte n’offre que deux possibilités aux administrations qui souhaitent éplucher les conversations téléphoniques privées : obtenir l’autorisation d’un juge ou demander la permission à la Commission de contrôle des interceptions de sécurité. Tout le reste est illégal.


Illégal… mais écrit noir sur blanc dans le Livre des procédures fiscales. Pour contourner cette interdiction, la direction générale des impôts a en effet profité des attentats du 11 septembre 2001. A l’époque, de nombreux médias (dont Libération, Le Monde, France Info…) avaient en effet relayé une information du quotidien USA Today qui, se basant sur des témoignages émanant des services de renseignement américains, avançait que les terroristes avaient communiqué entre eux en cachant des messages secrets dans des… photos pornos, diffusées sur l’internet (voir Terrorisme : les dessous de la filière porno ).

Aussi incongrue que puisse être l’idée même que des musulmans intégristes puissent ne serait-ce que porter leurs yeux sur des photos pornos (Jack Kelley, le journaliste d’USA Today à l’origine de la fausse info, fut ensuite viré de son boulot, après que l’on ait découvert qu’il avait bidonné nombre de ses papiers), l’opinion publique, à commencer par nos représentants politiques, était persuadée que les terroristes avaient utilisé le Net, et qu’il fallait donc l’écouter.

Le parlement français décida ainsi de placer l’internet sous surveillance, et de garder la trace de tout ce qu’y font les internautes, ce qu’on appelle la conservation des “logs“, ou “données de connexion“. La Loi sécurité quotidienne (LSQ), adoptée le 15 novembre 2001 et considérée comme anticonstitutionnelle par ses opposants, ne fut, de fait, pas soumise au Conseil Constitutionnel.

Or, comme le releva, en 2002, Sylvie Rozenfeld dans un article de la revue Expertises, un “interprétation stricte (de la loi) aurait pu limiter l’accès à ces données aux seules autorités judiciaires, dans une affaire pénale“. Le gouvernement profita donc de la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2001 pour y introduire un “cavalier parlementaire” (disposition sans rapport avec le projet auquel il se rattache) afin d’y remédier.

Et c’est ainsi que, et sans que les parlementaires n’en débattent vraiment, l’article L621-10 du Code monétaire et financier et l’article L83 du Livre des procédures fiscales furent modifiés afin d’étendre la possibilité, offertes à l’AMF et au fisc, de se voir communiquer les “données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications“, sans que leurs détenteurs puissent “opposer le secret professionnel“.

En 2008, un autre cavalier budgétaire, adopté lors de la loi de finances rectificatives pour 2008, créait l’article L96G du Livre des procédures fiscales, de sorte que “les agents des impôts peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques” (téléphonie et internet), mais également par les hébergeurs de sites web, et autres “personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne“, y compris en WiFi, tels que définis dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique adoptée en 2004.

Ce dernier point est d’importance, parce que la façon quelque peu cavalière (“illégale“, d’après le Canard) avec laquelle le fisc et l’AMF contournent la loi sur les écoutes téléphoniques pourrait bien s’étendre, non seulement aux factures détaillées, mais également aux “données de connexion” conservées par les fournisseurs d’accès à l’internet, et donc aux sites web consultés, requêtes effectuées dans les moteurs de recherche, intitulés, taille, destinataires et horodatages des mails et fichiers envoyés ou reçus

Or, ce n’est pas tant de placer un quidam sur écoutes qui intéresse les enquêteurs que de reconstituer son réseau, ses connexions, ce qui peut donc être effectué sans avoir à passer par un juge, ou les empêcheurs de tourner en rond de la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité.

Ce qui se profile ainsi, c’est que demain, ce ne sera plus seulement la liste des numéros appelés / appelant qui pourra être demandée aux opérateurs de télécommunication, mais bien le détail des mails envoyés / reçus, sites web consultés… sur le modèle du dispositif imaginé par l’Hadopi (“nous avons les preuves que vous n’avez pas sécurisé votre accès, les données de trafic parlent d’elles-mêmes“).

Les pouvoirs publics estiment ainsi qu’il est tout à fait normal, pour eux, d’étendre aux requêtes DNS et logs mails ce qui est toléré pour les FaDet téléphoniques, sur le mode : “ben quoi, vous fournissez les détails de trafic téléphonique, pourquoi vous ne fourniriez pas les détails DNS & mail ? Quoi ? Pourquoi vous nous regardez bizarrement ? On a dit une grosse connerie ?“.

A défaut d’avoir été, texto, tenus, ces propos ont été clairement sous-entendus, au printemps dernier, lors des réunions portant sur le référentiel Internet (conçu pour compléter le référentiel téléphonie issu de l’arrêté de 2006relatif aux réquisitions ayant pour objet la production et la fourniture des données de communication par les opérateurs de communications électroniques“).

D’après nos estimations, plusieurs dizaines de demandes d’accès aux FaDet sont envoyées, chaque jour, aux opérateurs de téléphonie par le fisc et l’AMF. La pratique existerait depuis 20 ans, mais aurait notablement augmenté depuis le cavalier budgétaire de 2008, qui a élargi le “droit de communication“, et donc la possibilité de surveiller nos télécommunications, aux prestataires internet, alors qu’il n’était jusque là réservé qu’aux seuls opérateurs téléphoniques.

En conclusion de son article, le Canard notait que “les agents du fisc vont même pouvoir faire profiter la police de leur accès privilégié aux fadettes” : une équipe d’inspecteurs des Impôts a en effet rejoint la nouvelle Direction générale de la police fiscale, avec pour mission de “fournir une assistance documentaire et analytique” aux services de police nationale et de gendarmerie :

Les contre-espions de la Direction centrale du renseignement intérieur, qui, à la suite des récents articles du Canard, ne peuvent plus consulter librement (et illégalement) les fadettes, savent aujourd’hui auprès de qui s’approvisionner.


Demandes de FaDet faites par le fisc et l’AMF

Illustrations : Row of red telephone boxes, CC Craig S, et puis des couvertures de La petite Fadette, roman de George Sand que l’association de la presse judiciaire a offert à Bernard Squarcini, le directeur de la DCRI, en hommage à la façon qu’a cette dernière de contourner la loi sur les écoutes téléphoniques pour accéder aux FaDet.

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